La construction intelligente
La construction intelligente
Ivo Bracher ne craint pas un effondrement du marché immobilier suisse. La société bonainvest qu'il préside va continuer à se développer avec ses projets immobiliers.
André Michel interviewe Ivo Bracher, directeur et président du conseil d'administration du groupe bonainvest Holding, dont fait également partie bonacasa.
bonaLifestyle: Ivo Bracher, divers experts, notamment ceux de la Banque nationale suisse ou d'UBS, signalent un risque de bulle immobilière. Partagez-vous cette opinion ?
Ivo Bracher: Dans certaines régions, on observe une nette tendance à la surchauffe. Mais même là, il y a des sites sur lesquels des investissements pertinents restent possibles…
…Que signifie « pertinents »?
Nous nous en tenons toujours à notre stratégie : nous investissons dans des lieux centraux et nous mettons les biens en réseau par nos prestations de service. Même dans les secteurs dits « de bulle », nous cherchons des terrains qui répondent à nos critères, et parfois nous en trouvons – nous ne sommes cependant pas prêts à payer des prix exagérés. Par exemple, nous avons acheté deux terrains à Kilchberg, sur le lac de Zurich, et un à Horgen.
Mais Kilchberg est tout sauf bon marché.
Nous sommes convaincus d'avoir acheté ces terrains à des conditions correctes. Nous procédons toujours à un calcul rétroactif. Nous nous posons donc la question : comment notre concept convient-il au bien à bâtir, à quel prix pouvons-nous le vendre ou le louer ? Ensuite, nous comptons à rebours : combien le terrain peut-il coûter?
Le marché de l'immobilier est gouverné par deux ou trois tendances. Premièrement, l'évolution sociodémographique. Cela signifie que les plus de 65 ans constituent une part croissante de la population résidente. Deuxièmement, la tendance à la singularisation, c'est-à-dire le nombre croissant de ménages constitués d'une seule personne.
… Et troisièmement…
Troisièmement, le renchérissement et la raréfaction de l'énergie. Si vous apportez la bonne réponse à ces tendances – comme nous le faisons avec le concept bonacasa –, vous pouvez réaliser des investissements pertinents même dans des zones plutôt chères. Avec nos solutions en termes de standard de construction, de sécurité et de prestations de service, nous offrons une véritable valeur ajoutée. Grâce à ce concept, nous pouvons de temps à autre acheter un terrain dans une commune à un prix plus raisonnable parce que la commune se dit : « Ce que fait bonacasa nous est utile ».
Mais ne serait-ce pas plus lucratif d'investir dans des communes moins coûteuses ?
Une bonne qualité de construction – isolation, accessibilité, confort – coûte à peu près la même chose partout. La différence de coût résulte toujours du coût du terrain. Lorsque nous comparons un endroit du Jura à Kilchberg, les rendements sont nettement meilleurs à Kilchberg. Pourtant, nous dépensons pratiquement autant pour la construction aux deux endroits. Cela signifie que nous réussissons à compenser le prix du terrain par le supplément de recettes.
Nous investissons dans des lieux centraux.
Ivo Bracher, bonainvest Holding AG

Existe-t-il des régions qui s'imposent particulièrement pour les investissements?
Comme dit, la principale question est : « Quels loyers et quels prix au mètre carré pour les copropriétés est-on prêt à payer sur le marché ? » C'est l'analyse que nous menons partout. Parfois, les résultats sont défavorables. Dans le Mittelland, à un endroit mal placé en périphérie, le prix au mètre carré de 90 % des logements est inférieur ou égal à 200 francs. À ce prix, nous ne pouvons pas obtenir de rendements exploitables. Normalement, nous ne nous intéressons pas aux terrains en périphérie – je pense aux secteurs des cantons de Soleure, de Lucerne et de l'Argovie, situés hors des grands centres urbains. Cependant, il existe naturellement des exceptions. Par exemple, lorsque le terrain se situe à côté d'une maison de retraite avec laquelle nous pouvons coupler des prestations de service. Nous pouvons alors créer cette valeur ajoutée dont tout le monde profite : la maison de retraite, les résidents et l'investisseur. Pour nous, la priorité va cependant aux communes disposant d'un certain pouvoir d'achat.
À quoi un particulier doit-il faire attention lorsqu'il veut acheter son logement aujourd'hui?
Si le particulier est objectif, il utilisera des critères tout à fait similaires aux nôtres : « Que se passera-t-il si je dois changer de lieu de travail, comment l'endroit est-il desservi ? Où sont les écoles, quelle est l'offre de loisirs ? Comment peut-on s'approvisionner quand on est âgé, à quelle distance se trouvent les magasins ? » Je crois qu'à l'avenir, ce sont justement les communes périphériques, comptant de nombreuses maisons individuelles et mal desservies, qui auront plus de problèmes pour l'évaluation et la revente de ces maisons que les lieux bien desservis.
La situation est donc décisive. Les endroits bien situés offrent aujourd'hui encore des possibilités attractives d'investissement dans l'immobilier résidentiel.
Oui, principalement pour les copropriétés. Ce marché a progressé plus rapidement que celui des maisons individuelles.
La situation pourrait être plus critique pour l'immobilier commercial.
Je partage ces craintes pour les locaux commerciaux. Je pense que par exemple, dans le domaine des surfaces de vente, on bâtit des biens qui n'ont pas de demande. Pour les surfaces de bureaux également, j'ai de gros doutes sur la capacité du marché à absorber l'offre. Normalement, bonainvest n'investit pas dans ces secteurs, hormis peut-être dans un cas comme celui d'Egerkingen, où nous créons des cabinets médicaux en liaison avec une maison de retraite, mais cela fait partie de notre concept d'ensemble. Lorsque nous investissons dans un lieu central, nous intégrons parfois aussi un commerce dans un ensemble immobilier, mais seulement lorsque nous constatons l'existence d'un marché correspondant. Toutefois, à ce jour nous n'avons pratiquement aucune surface à usage commercial dans notre portefeuille.

Aujourd'hui, vous ne recommanderiez plus à un investisseur d'investir dans des immeubles de bureaux?
J'étudierais un tel investissement très très en détail, de manière différenciée. Il reste certainement de bonnes opportunités, par exemple lorsqu'on trouve un bâtiment bien situé, loué à long terme. Mais d'une manière générale, j'appellerais à la prudence. Ces dernières années, d'importantes plus-values de réévaluation ont été comptabilisées, ce qui a permis de faire valoir de bons résultats et de payer des rémunérations et des dividendes élevés. Cela ne durera pas éternellement. Il est important d'avoir un bon ratio de capitaux propres.
Que se passera-t-il si les taux d'intérêt hypothécaires augmentent fortement ?
Il faut naturellement savoir si le propriétaire immobilier a fixé à long terme ou garanti les taux d'intérêt hypothécaires. Si ce n'est pas le cas, cela risque de grever les revenus disponibles des particuliers – et pour les investisseurs professionnels, le bilan. La hausse des taux aura tendance à étrangler l'économie. Dans ce genre de situation, tout dépend de la qualité de la substance. Cela signifie qu'il faut avoir le bon bien, au bon endroit, pour que les revenus locatifs correspondent toujours. De plus, le ratio de capitaux propres doit être suffisamment élevé. Si toutes ces conditions sont remplies, on est assez fort pour supporter les phases de taux élevés.
Quelle est la position de bonainvest dans ce domaine ?
Avec un bilan de 206 millions de francs (mi-2013), nous disposions fin 2013 d'environ 151 millions de capitaux propres, c'est-à-dire plus de 50 %. Nous avons volontairement un ratio de capitaux propres élevé, de sorte que nous sommes bien vus des banques et que nous obtenons des offres intéressantes. Notre stratégie vise donc à éviter des situations de dépendance qui pourraient créer des problèmes en cas de hoquets du marché.
Si on considère la branche dans son ensemble, la situation n'a pas l'air pas si favorable. Est-ce qu'il n'y a pas un risque que l'histoire se répète ? Dans les années 1990, de gros acteurs du marché ont été détruits par la forte hausse des taux d'intérêt faute de capitaux propres.
J'ai peu de craintes à ce sujet. Les grands investisseurs, tels que les fondations de placement, les caisses de pension et de nombreux fonds, fonctionnent souvent presque exclusivement avec des capitaux propres. Mais naturellement, parmi les sociétés immobilières, il en existe qui ont des méthodes un peu plus sportives. Une société qui ne possède que 20 % de capitaux propres souffrirait beaucoup d'une correction de valeur de 10 % à la baisse. J'ai récemment vu les chiffres d'une société immobilière qui voulait placer des actions. Si nous avions évalué cette société selon nos critères, en capitalisant les recettes locatives, il ne serait pas resté grand-chose des capitaux propres comptabilisés.

Avec le niveau actuellement très bas des taux, on peut facilement arriver à des évaluations très hautes et à des capitaux propres très élevés.
Ceux qui font leurs calculs avec des taux très bas possèdent sur le papier une merveilleuse couverture en capitaux propres. Mais il faut partir du principe que les taux finiront par remonter. Si on capitalise les recettes locatives, qui évoluent déjà à un niveau généreux, à un taux de 5 ou 5,5 %, les choses risquent de mal se passer, car le capital disponible sera insuffisant.
Mais, comme je l'ai déjà dit, la plus grande partie de la branche est dans une bonne situation. Si les taux augmentent, ce sont surtout les prix des maisons individuelles qui seront sous pression. Les investisseurs privés qui ont pris leurs décisions imprudemment en souffriront. Mais nous ne nous trouvons pas dans la même situation que dans les années 1990, parce que les banques ont fortement réagi. Les exigences de capitaux propres sont plus élevées, et cela se traduit dans les faits. Cela signifie que les mesures prises ces deux dernières années par la Banque nationale et l'Autorité de surveillance des marchés financiers en termes de quote-part d'emprunt, d'obligation d'amortissement et de prescriptions de capitaux propres pour les banques exerçant des activités hypothécaires ont été efficaces. On le sent vraiment. Les acheteurs doivent présenter des capitaux propres suffisants pour pouvoir acheter, on ne se contente pas de calculer à court terme. C'est pourquoi je n'ai aucune crainte. Nous n'avons pas de bulle immobilière susceptible d'exploser en cas de hausse des taux et d'entraîner un effondrement des entreprises immobilières et des banques. Évidemment, il y aura des problèmes isolés, mais le marché survivra à une hausse des taux. Il ne faut pas non plus oublier que la hausse des taux est généralement associée à une inflation, de sorte que les dettes réelles diminuent.
Avec bonacasa, bonainvest déploie un concept spécifique, dont les mots clés sont le standard de construction, le standard de sécurité et le standard de prestations.
S'agit-il d'un marché en croissance ?
Nous ressentons une forte demande. Tous nos projets immobiliers sont vendus ou loués. Au début, il faut un peu de temps aux gens pour comprendre pourquoi le prix est un peu plus élevé. Mais dès que nous expliquons notre concept, tout s'éclaire. Et parce que les logements ne coûtent pas beaucoup plus cher…

De combien exactement ?
Le surcoût n'est pas très élevé, entre 1 et 5 %. Sur la durée de vie du logement, c'est relativement peu. Donc, parce que les logements ne coûtent pas beaucoup plus cher et s'adressent à un large public – jeunes et moins jeunes, puisque nous avons une moyenne d'âge de 52 ans –, la demande est très bonne.
Cela signifie que même si les logements sont adaptés aux personnes âgées, vous vendez et vous louez aussi à des familles avec enfants.
En fait, nous recherchons délibérément cette mixité. Il est clair que lorsque nous construisons juste à côté d'une maison de retraite, nous avons une moyenne d'âge plus élevée. Mais lorsque nous réussissons à réaliser un ensemble d'une certaine dimension, comme celui de Biel où nous avons créé tout un quartier avec 400 logements, la mixité est importante et cela crée de la qualité de vie.
Avez-vous des biens à vendre et d'autres à louer dans le même immeuble ? Cela peut gêner certains acheteurs.
Si c'est le cas, c'est parce qu'il y a un problème de conception.
Il y a alors des problèmes avec le lavage, l'isolation phonique, les places de stationnement pour vélo. Nous avons un standard de construction aux conditions très claires. Cela commence par la protection antisismique et se poursuit avec une isolation phonique accrue et l'absence d'obstacles. Chez bonacasa, le lave-linge et le sèche-linge sont dans le logement. C'est un avantage pour les actifs, car grâce à l'excellente isolation ils peuvent faire leur lessive le soir chez eux, et c'est un avantage pour les personnes âgées qui n'ont plus assez d’énergie pour transporter leur linge à la laverie. Si le concept de construction est respecté, alors il n'y a aucun problème à avoir des propriétaires et des locataires dans le même immeuble. Toutefois, si c'est possible, nous créons des biens séparés pour les logements à louer et ceux à vendre.
Nous avons un standard de construction aux conditions très claires.
Ivo Bracher, bonainvest Holding AG

Avez-vous des imitateurs du concept bonacasa?
Bien sûr, il existe des fonds qui achètent ensemble des biens adaptés avec leurs moyens, mais ceux-ci ne respectent pas toujours leurs promesses. Notre atout, c'est que nous avons dit dès le départ que nous concevions et construisions des bâtiments neufs selon le standard bonacasa. Lorsqu'il y a écrit bonacasa dessus, c'est qu'il y a du bonacasa dedans. De par mon activité pour plus de 50 sociétés coopératives, nous avons très vite remarqué de quoi les gens ont besoin quand ils vieillissent. De plus, j'ai connu la situation de ma grand-mère, puis celle de ma mère. Celle-ci habitait à 85 ans dans un logement bonacasa. D'ailleurs, j'habite moi-même dans un logement que j'ai construit sans obstacles il y a déjà 20 ans.
L'accessibilité est en soi quelque chose que d'autres connaissent aussi…
… Ils sont même bons dans ce domaine…
… Mais ce qui distingue bonacasa, c'est le concept de sécurité et les prestations de services.
Auparavant, il y avait le concept classique de maison de retraite. À partir de ce concept, on a créé la résidence 5 étoiles pour personnes âgées : confort 5 étoiles, prix 5 étoiles aussi, mais lorsque le résident va moins bien et a besoin de soins, il doit quand même être transféré dans l'unité de soins de la résidence. Nous nous sommes posé la question : comment peut-on aider les gens pour qu'ils puissent vivre en toute autonomie dans leurs propres murs le plus longtemps possible, sans avoir à payer 2000 ou 3000 francs en plus par mois ? Nous proposons un produit 5 étoiles au tarif d'un 3 étoiles. Avec bonacasa, nous créons le lien entre les prestataires de services et les résidents. C'est la première composante, l'organisation technique. La deuxième composante, c'est le lien des personnes entre elles. Nos bonaConcierges réunissent les résidents, organisent des apéritifs et veillent à ce que les joueurs de jass puissent se retrouver.
Nous proposons un produit 5 étoiles au tarif d'un 3 étoiles.
Ivo Bracher, bonainvest Holding AG

Cependant, vous ne fournissez pas vous-mêmes les prestations : vous n'avez pas votre propre service Spitex, pas de service de nettoyage…
… Le principe est clair. Nous ne réinventons pas la roue. Nous mettons en contact et nous organisons, nous essayons de négocier les conditions les plus intéressantes possible pour nos clients. Nous permettons un contact rapide et simple via iApp et Android. Les personnes qui n'ont pas de smartphone ou d'iPad peuvent simplement s'adresser par téléphone à nos concierges. Grâce à nos services, nous créons un environnement dans lequel les gens se sentent bien. L'organisation de la sécurité passe par un centre d'appel. Nous avons huit cas sérieux d'urgences par mois. C'est quelque chose que nous avons bâti au cours des cinq années passées. Aujourd'hui, nous proposons également ces services à des tiers, par exemple aux maisons de retraite, aux communes et aux entreprises.
Est-ce que je pourrais bénéficier des prestations de service bonacasa moi aussi?
Notre service d'alerte est disponible dans toute la Suisse, et nous proposons actuellement les services de conciergerie dans 6 cantons, avec des prestations de soins, de ménages ou d'achats. Nous nous développons maintenant progressivement.
Magazine : M. Bracher, où habitez-vous ?
Ivo Bracher : J'habite dans une copropriété – sans obstacle, naturellement – à la périphérie ouest de Soleure. Je l'ai conçue moi-même il y a plus de 20 ans, à une époque ou bonacasa n'existait pas encore. C'est un très bel endroit, qui donne directement sur l'Aar. C'est de la qualité de vie, c'est la vie à l'état pur.
Vous n'avez donc pas besoin de piscine privée. Quel luxe vous êtes-vous permis?
J'ai tout simplement un très bel appartement, avec une grande cuisine qui est le cœur de notre vie. Ce qui est spécial et luxueux, c'est vraiment notre position sur l'Aar. J'apprécie également beaucoup la possibilité d'être à la gare ou dans la vieille ville en dix minutes à pied.
Notre service d'appel d'urgence 24/7 est disponible dans toute la Suisse.
Ivo Bracher, à propos de bonacasa

Vous travaillez dans l'immobilier. Est-ce que cela signifie que vous avez placé votre patrimoine principalement dans l'immobilier ? Ou est-ce que vous investissez de manière diversifiée dans d'autres secteurs et produits?
Je suis un peu fou : d'une part, j'ai mon patrimoine dans mon immeuble privé, d'autre part j'ai placé mon argent dans bonainvest. Je suis convaincu que nous faisons un bon travail avec l'équipe, et que nous investissons aux bons endroits.
Imaginez que vous aimeriez exercer votre activité immobilière hors de Suisse. Dans quel pays iriez-vous ? Il existe certainement des marchés lucratifs et passionnants.
La question des marchés passionnants et lucratifs est une chose, savoir où j'aimerais aller personnellement en est une autre. Les marchés passionnants sont les marchés sous-développés ou sous-évalués. Des pays à problèmes comme l'Espagne ou la Grèce vont certainement se redresser. Si on y intervient au bon endroit, il y a de très belles perspectives. Personnellement, si je devais vivre et investir dans un autre endroit, ce serait peut-être Vancouver, au Canada. C'est une ville qui offre une grande qualité de vie. Mais je suis très bien en Suisse, j'aime beaucoup la Suisse.